Projet d'extermination
1Plein d'une violente colère et inflexible dans sa haine, le roi fit alors appeler Hermon, le responsable des éléphants, 2et lui ordonna d'enivrer le lendemain tous les éléphants, au nombre de cinq cents, au moyen d'encens à pleines poignées et de vin pur à profusion ; une fois ceux-ci rendus furieux par ce breuvage fourni en abondance, il les lancerait contre les Juifs pour les massacrer. 3Après avoir donné cet ordre, il se mit à organiser le festin auquel il avait invité ceux de ses amis et de l'armée qui étaient hostiles aux Juifs. 4Hermon, l'intendant des éléphants, exécuta sans délai l'ordre donné.
5Ceux qui étaient en charge de ces malheureux sortirent vers le soir, se mirent à leurs lier les mains et prirent d'autres précautions pour s'assurer de leurs personnes durant la nuit ; ils croyaient que, d'un seul coup, ce serait l'extermination finale de la nation. 6Aux yeux des païens, les Juifs semblaient dépourvus de toute protection car ils devaient supporter les chaînes qui les entravaient, 7mais tous, dans un cri irrépressible et en versant des larmes, supplièrent le Seigneur souverain, le Maître de toute puissance, leur Dieu et Père miséricordieux ; ils le priaient 8de déjouer le projet impie formé contre eux et, par quelque manifestation grandiose, de les arracher à la mort qui s'ouvrait à l'instant sous leurs pieds. 9Leur supplication montait instamment vers le ciel.
Sommeil puis amnésie du roi
10Hermon fit boire les cruels éléphants jusqu'à ce qu'ils soient soûls de vin et enivrés d'encens, puis il arriva de bon matin à la cour pour en informer le roi.
11Mais celui qui, de tout temps, accorde à tous ceux qu'il gratifie, de nuit et de jour, cette précieuse création qu'est le sommeil, envoya au roi une part de celui-ci. 12Plongé dans un sommeil doux et profond par l'action du Maître, il passa totalement à côté de son projet criminel et fut grandement frustré de son dessein irrévocable. 13Echappant à l'heure fatale, les Juifs louèrent leur Dieu saint et, de nouveau, prièrent celui qui se laisse aisément réconcilier afin qu'il montre la grande force de sa main puissante aux païens arrogants.
14La moitié de la dixième heure était déjà presque écoulée, quand le préposé aux invitations, voyant les invités réunis, s'approcha du roi et le secoua. 15L'ayant réveillé à grand-peine, il lui indiqua que l'heure du banquet s'écoulait déjà et lui fit un rapport à ce sujet. 16Réflexion faite, le roi se mit à boire et ordonna à ceux qui étaient venus au banquet de prendre place en face de lui. 17Cela fait, il les exhorta à s'adonner aux plaisirs de la table et à passer la présente partie du banquet dans la gaieté, étant ainsi d'autant plus honorés.
18La rencontre était très avancée, quand le roi fit appeler Hermon et, le menaçant vertement, lui demanda pour quelle raison on avait toléré que les Juifs restent en vie ce jour-là. 19Ce dernier ayant montré qu'il avait exécuté durant la nuit l'ordre donné – ce que les amis du roi attestèrent –, 20le roi, plus cruel que Phalaris, dit qu'ils devaient de la reconnaissance à son sommeil d'aujourd'hui : « Va sans délai préparer les éléphants pour demain de la même manière, afin d'anéantir ces Juifs impies. » 21Les personnes présentes, unanimes, acquiescèrent avec joie et allégresse à ce qu'avait dit le roi, puis chacun s'en retourna dans sa maison. 22Et ils profitèrent du temps de la nuit non pas tant à dormir qu'à imaginer divers outrages pour ces gens qui leur paraissaient voués au malheur.
23Dès le matin, au chant du coq, Hermon arma les bêtes et les fit défiler dans la grand-place aux colonnades. 24Dans la ville, les foules se rassemblaient en vue de ce spectacle si pitoyable et attendaient impatiemment l'aurore. 25Les Juifs, sur le point d'expirer, levaient les mains au ciel avec des supplications, des larmes abondantes et des gémissements ; ils priaient le Dieu Très-Grand de leur accorder rapidement un nouveau secours. 26Le soleil n'avait pas encore dardé ses rayons que le roi recevait ses amis et qu'Hermon se présentait pour l'inviter à sortir, en lui faisant observer que son désir était prêt à être exécuté.
27Après l'avoir entendu, le roi fut stupéfait de cette invitation à sortir tout à fait anormale ; frappé d'une complète amnésie, il demandait quelle était l'affaire pour laquelle on s'était hâté d'accomplir tout cela pour lui. 28C'était là l'action du Dieu, Maître de toutes choses, qui avait insinué dans son esprit l'oubli de ce qu'il avait machiné auparavant. 29Hermon et tous les amis du roi lui faisaient observer : « Les bêtes et les troupes sont prêtes, ô roi, selon ton plan exprès. »
30Mais ces paroles le remplirent d'une grande colère, car la providence divine avait fait s'évanouir en lui toute idée à ce sujet ; fixant Hermon d'un regard menaçant, il lui dit : 31« S'il y avait eu là tes parents ou tes enfants, aussi nombreux soient-ils, ils auraient constitué un repas copieux pour les bêtes sauvages, plutôt que les irréprochables Juifs qui ont montré à moi et mes ancêtres une totale loyauté à toute épreuve. 32En outre, si ce n'était en raison de ma tendresse pour mon frère de lait et des services que tu m'as rendus, tu aurais perdu la vie à leur place. » 33Ainsi Hermon reçut cette menace dangereuse et inattendue ; son regard et son visage se troublèrent.
34Les amis du roi s'éclipsaient les uns après les autres d'un air sombre et l'on congédia l'assemblée, renvoyant chacun à ses affaires. 35Quant aux Juifs, en entendant ce qui s'était passé chez le roi, ils louèrent le Seigneur Dieu, le Roi des rois, qui s'était manifesté et dont ils avaient obtenu ce secours.
Le roi redonne ses ordres
36Le roi, cependant, organisa tout un nouveau banquet selon les mêmes règles et invita les convives à s'adonner aux réjouissances. 37Il fit appeler Hermon et lui dit d'un ton menaçant : « Combien de fois faut-il te répéter les mêmes ordres, misérable ? 38Va maintenant armer les éléphants pour demain, en vue d'anéantir les Juifs. » 39Les parents du roi qui étaient à sa table, étonnés de l'instabilité de son esprit, lui dirent : 40« O roi, jusques à quand nous mettras-tu à l'épreuve comme des êtres stupides ? Voilà déjà trois fois que tu ordonnes d'anéantir ces gens et de nouveau, au moment de passer aux actes, tu changes d'humeur et tu révoques tes décisions ! 41A cause de cela, la ville est dans le trouble à force d'attendre ; déjà les attroupements s'y multiplient et l'on risque de nombreux pillages. »
42Le roi, en vrai Phalaris, s'abandonna alors à la déraison et, ne tenant aucun compte des changements qui s'étaient opérés dans son esprit en faveur des Juifs, il s'engagea avec fermeté par un serment perpétuel à les envoyer sans délai au séjour des morts, écrasés sous les genoux et les pieds des bêtes. 43« Je ferai une expédition pour écraser promptement la Judée par le feu et la lance, j'incendierai rapidement leur sanctuaire où nous n'avons pu pénétrer ; il sera à jamais déserté par ceux qui y offraient des sacrifices. »
44Là-dessus, tout joyeux, les amis et les parents du roi s'en retournèrent et disposèrent avec confiance les troupes aux endroits les plus favorables de la ville pour la surveiller. 45L'intendant des éléphants mit ces bêtes dans un état qui tenait de la folie furieuse, par un breuvage très entêtant fait de vin mêlé d'encens ; il les équipa de caparaçons redoutables. 46Vers l'aurore, alors que la ville était déjà remplie d'une foule innombrable qui se dirigeait vers l'hippodrome, il entra au palais et pressa le roi de réaliser son projet. 47L'esprit impie rempli d'une violente colère, celui-ci se mit en route avec sa garde en même temps que les bêtes, car, le cœur implacable, il voulait contempler de ses propres yeux la fin cruelle et lamentable des malheureux mentionnés ci-dessus.
48Quand les éléphants franchirent la porte de la ville, suivis de la troupe armée et de la foule qui piétinait, les Juifs virent le nuage de poussière, entendirent le vacarme retentissant et 49crurent que leur dernière heure était arrivée ainsi que la fin de leur très pénible attente. Ils se mirent à pleurer et à se lamenter en s'embrassant les uns les autres ; on étreignait ses proches, les parents se jetaient au cou de leurs enfants, les mères, de leurs filles ; d'autres avaient au sein leurs nouveau-nés qui tétaient leur dernière goutte de lait. 50Néanmoins, considérant la protection venue du ciel dans le passé, tous ensemble ils se jetèrent à terre et, les mères ayant écarté leurs nourrissons de leur sein, 51ils appelèrent à grands cris le Maître de toute puissance, le suppliant de manifester sa pitié à leur égard, eux qui étaient déjà aux portes du séjour des morts.