Onzième poème de Job
1Alors Job continua de prononcer son poème et dit :
Le bonheur d'antan
2Qui me fera revivre les lunes d'antan,
ces jours où Dieu veillait sur moi,
3quand sa lampe brillait sur ma tête,
et dans la nuit j'avançais à sa clarté ;
4tel que j'étais aux jours féconds de mon automne,
quand l'amitié de Dieu reposait sur ma tente,
5quand Shaddaï était encore avec moi
et que mes garçons m'entouraient,
6quand je lavais mes pieds dans la crème
et le roc versait pour moi des flots d'huile.
7Si je sortais vers la porte de la cité,
si j'installais mon siège sur la place,
8à ma vue les jeunes s'éclipsaient,
les vieillards se levaient et restaient debout.
9Les notables arrêtaient leurs discours
et mettaient la main sur leur bouche.
10La voix des chefs se perdait,
leur langue se collait au palais.
11L'oreille qui m'entendait me disait heureux,
l'œil qui me voyait me rendait témoignage.
12Car je sauvais le pauvre qui crie à l'aide,
et l'orphelin sans secours.
13La bénédiction du mourant venait sur moi,
et je rendais la joie au cœur de la veuve.
14Je revêtais la justice, c'était mon vêtement.
Mon droit me servait de manteau et de turban.
15J'étais devenu les yeux de l'aveugle,
et les pieds de l'impotent, c'était moi.
16Pour les indigents, j'étais un père,
la cause d'un inconnu, je la disséquais.
17Je brisais les crocs de l'injuste,
et de ses dents, je faisais tomber sa proie.
18Je me disais : « Quand j'expirerai dans mon nid,
comme le phénix je multiplierai mes jours.
19L'eau accède à ma racine,
la rosée passe la nuit sur ma ramure.
20Ma gloire retrouvera sa fraîcheur,
et dans ma main mon arc rajeunira. »
21On m'écoutait, dans l'attente.
On accueillait en silence mes avis.
22Quand j'avais parlé, nul ne répliquait,
sur eux goutte à goutte tombaient mes paroles.
23Ils m'attendaient comme on attend la pluie.
Leur bouche s'ouvrait comme à l'ondée tardive.
24Je leur souriais, ils n'osaient y croire,
et recueillaient avidement tout signe de ma faveur.
25Leur fixant la route, je siégeais en chef,
campé, tel un roi, parmi ses troupes,
comme il console des affligés.